Manhattan
Un colosse enjambant East River, Times Square mitraillant ses couleurs, des géants de béton, de verre et d’acier où se noient ciels et nuages… Manhattan. Manhattan et ses blocks. Armée immobile déployée dans la folie du jour, narguant les ténèbres la nuit venue, cultivant beauté et arrogance jusqu’à plus soif, comme un défi à l’univers tout entier…
Les Sens et l’Huile…
… ou comment je procède
Ma création débute souvent en enfilant des chaussures de marche. Non pas que je sois un grand randonneur mais j’ai besoin d’une expérience d’immersion. A la campagne, en forêt, au cœur d’une mégapole, en été, en hiver, paysage de terre, de verre, de bois ou de pierre, je ne néglige aucun sujet potentiel. Je dois seulement trouver le bon endroit, le bon angle, le bon moment. L’important est d’être prêt. En « réceptivité optimale ».
Dans nos vies saturées d’informations, ouvrir ses sens au monde exige un état d’esprit particulier : la contemplation. Il faut regarder pour aimer, et aimer pour se nourrir. Que ce soit la structure complexe d’un arbre ou d’un roc, les reflets courant sur l’eau ou les gratte-ciel irradiant la nuit New-yorkaise…
Appareil reflex en main, je suis à l’affût d’un paysage tout entier ou au contraire d’un seul élément qui m’appelle, me charme, me percute, me délecte. Un accord de couleurs, des formes, un élan, une texture, des rythmes, des ossatures… et je déclenche. Je cadre, je recadre, sous toutes les coutures. Début de composition. Je constitue une banque de données. Je recadrerai encore, au plus près de l’émotion. Sur ordinateur ou directement sur tirage papier. Ainsi je ne peins pas, selon l’expression consacrée, « d’après photos », je peins d’après mes photos (à de rares exceptions près). La nuance est de taille. Car mes photos sont porteuses d’émotions vécues et non empruntées à d’autres. C’est un élément clé pour démarrer une toile.
La peinture, maintenant. Elle a ses exigences. De liberté d’abord. De liberté toujours. D’indépendance ensuite. La peinture s’éloignant du sujet pour devenir son propre sujet. Ne pas perdre cet acquis contemporain. Qu’importe l’exactitude, la ressemblance, ce qui prime, encore une fois, ce sont les formes, la couleur, les rythmes, la matière, la composition. Mais je nuance le propos. Disons que, si je prends vis à vis du sujet une certaine distance, celle que je décide au fil de l’œuvre, ou plus précisément celle qui se décide au fil de l’œuvre, je conserve un lien avec lui pour la richesse qu’il procure. Évoquer le sujet sans en être esclave, prendre appui sur le réel pour construire une autre image...
D’où des exigences de représentation. Par là, j’entends surtout la représentation du paysage qui se crée au fond de moi, en écho de celui que je regarde. Je m’approprie les choses, je les digère. Et je les régurgite trempées de mes forces, de mes faiblesses, de ma rigueur, de mes envies, de mes caprices, de mes souvenirs, de mes maladresses aussi, de mes peurs… et de quelques connaissances plastiques, bien entendu. Je fais le tri, j’élague, je rajoute… Mais loin de tout délire littéraire, de toute imagination débordante, j’assume n’être guidé que par la peinture pure. C’est elle qui commande, et elle seule…
J’utilise de l’huile, uniquement. Pour son odeur, sa sensualité, sa lenteur qui permet de retoucher pendant des heures dans le frais, le clin d’œil à mon enfance également…
Je vérifie en permanence la circulation du regard sur la toile. Elle est essentielle et doit atteindre une grande fluidité. Je modifie en conséquence. Je travaille jusqu’à multiplier les émotions, jusqu’au trouble parfois. Ce sont des témoins infaillibles. Quand j’exulte, c’est le signe pour moi que la toile a pris de l’altitude…